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L’impact de la technologie DEL sur la pollution lumineuse à Montréal

Carte de la pollution lumineuse perçue la nuit par le satellite Suomi NPP en avril 2021.
Credit: Radiance Light Trends
Light pollution map observed at night by the Suomi NPP satellite in April 2021.
L’impact de la technologie DEL sur la pollution lumineuse à Montréal

Avec les avancées technologiques et le développement des grandes villes à travers le monde, nous avons graduellement effacé de notre quotidien la beauté offerte par le ciel nocturne. C’est d’ailleurs une fâcheuse habitude que nous avons de sacrifier notre bien-être commun sans trop s’en rendre compte lorsqu’on effectue des avancées technologiques rapides. On peut se rappeler d’autres exemples récents comme l’utilisation de béton pour recouvrir de grandes surfaces, le retrait de la majorité des arbres dans certaines grandes villes, l’utilisation allègre des énergies fossiles, ou même l’utilisation des rayons X pour sélectionner une paire de chaussures (oui, oui, on a vraiment fait ça dans les années 1940).

Alors qu’on prenait déjà conscience des enjeux comme la qualité de l’air et la pollution sonore, c’est seulement depuis une quinzaine d’années qu’on a réalisé que la pollution lumineuse avait aussi des impacts négatifs. Non seulement la pollution lumineuse dérange beaucoup les astronomes amateurs et professionnels pour l’observation du ciel, elle semble aussi avoir des impacts négatifs sur la faune, la flore, ainsi que la santé humaine en général. On peut penser notamment à l’impact de la lumière intrusive dans nos résidences sur notre horloge circadienne. Cette lumière peut inhiber la production de l’hormone mélatonine en soirée, ce qui peut retarder l’heure d’endormissement et potentiellement raccourcir notre nuit ou diminuer la qualité de notre sommeil. Et comme l’a fait remarquer récemment le neuroscientifique américain Matt Walker, des études scientifiques s’accumulent rapidement démontrant qu’une quantité ou qualité de sommeil réduite affecte à peu près tous les aspects connus de la santé humaine.

La pollution lumineuse avant et après l’arrivée des luminaires DEL

Un nouveau chapitre dans l’histoire de la pollution lumineuse est en train de s’écrire avec l’essor de la technologie des diodes électroluminescentes (DEL). De nombreuses villes et industries adoptent cette nouvelle technologie, plus flexible et moins coûteuse. Montréal ne fait pas exception à cette règle. Le Service de l’urbanisme et de la mobilité de la ville de Montréal a commencé autour de 2018 à adopter les DEL plutôt que de conserver les anciennes technologies comme les ampoules au sodium à haute pression. À l’été 2020, notre équipe du Planétarium a décidé de vérifier quantitativement la pollution lumineuse avant et après l’arrivée de ces nouveaux luminaires DEL.

Nous nous sommes ainsi penchés sur la base de données Radiance Light Trends qui répertorie des images de la Terre prises par la caméra VIIRS à bord du satellite Suomi NPP. Avec la collaboration du Service de l’urbanisme et de la mobilité, nous avons ciblé 32 régions sur l’île de Montréal où les nouveaux luminaires DEL ont été installés autour de 2018. Nous avons ensuite extrait les données historiques de VIIRS entre 2012 et 2020 pour l’ensemble de ces régions.

Localisation de l’ensemble des luminaires contrôlés par la Ville de Montréal.

Localisation de l’ensemble des luminaires contrôlés par la Ville de Montréal.
Source : Service de l'urbanisme et de la mobilité de la ville de Montréal.

L’interprétation de ces données a requis une analyse complexe et détaillée. La caméra VIIRS est très peu sensible à la lumière bleue, tandis que l'œil humain y est très sensible en situation nocturne. En effet, la sensibilité de l'œil humain aux différentes couleurs varie dans différentes situations d’éclairage, ce qui est une adaptation évolutive à la lumière plus bleutée reflétée par la Lune pendant la nuit. De plus, la caméra VIIRS obtient une image en vue aérienne de l’île de Montréal et perçoit l’ensemble de la lumière qui est émise directement vers le ciel. C’est une donnée très intéressante, mais c’est plutôt la lumière qui est déviée par notre atmosphère (diffusée en terme technique) et qui retourne vers le sol qui a le potentiel de gêner notre bien-être et nos observations astronomiques. Heureusement, il nous a été possible de tenir compte de tous ces effets (en plus des variations saisonnières dues à la neige au sol) étant donné que nous connaissons bien les propriétés détaillées des ampoules utilisées par la ville auparavant, des nouvelles DEL qui ont été utilisées pour les remplacer, de la caméra VIIRS ainsi que de l’œil humain.

Visualisation de la visibilité offerte par les DEL en comparaison aux luminaires au sodium.

Visualisation de la visibilité offerte par les DEL en comparaison aux luminaires au sodium.
Source : Aubé & Lamphar (2017).

Les résultats de notre analyse sont à la fois encourageants et très inquiétants. Ils sont encourageants parce que nous avons observé que la contribution des nouveaux luminaires au dôme de pollution lumineuse de Montréal semble avoir diminué d’environ 15 %, un chiffre qui risque de s’améliorer encore au fur et à mesure que la Ville complète la transition aux DEL. Nos données permettent aussi de prédire l’impact qu’aurait eu cette transition si d’autres types de luminaires, ou des DEL de couleur différente, avaient été utilisés. Si la métropole avait opté pour des DEL « 4000 K » plus bleutées (comme cela avait été planifié initialement), on aurait plutôt aggravé la pollution lumineuse d’environ 20 à 50 %! Montréal a heureusement opté pour des DEL « 3000 K » un peu moins bleutées. D’autres efforts ont aussi aidé à limiter la pollution lumineuse. Par exemple, des luminaires éclairant seulement vers le bas ont été sélectionnés et l’intensité lumineuse a été réduite légèrement sous l’ancienne norme d’éclairage étant donné que les DEL offrent une meilleure visibilité.

Notre analyse a déterminé que si la Ville avait omis une seule de ces stratégies, l’impact sur la pollution lumineuse aurait été néfaste. Si on avait simplement échangé les ampoules pour des DEL « 4000 K » sans aucun effort additionnel, nos données montrent que nous aurions pu quadrupler leur contribution à la pollution lumineuse. Nous avons heureusement évité le pire, mais la réalité n’est pas si simple ou rassurante si l’on compare des photos de Montréal prises par des astronautes à bord de la Station spatiale internationale en 2013 et 2021. On remarque qu’une très grande quantité de sources lumineuses blanches et brillantes sont apparues. Celles-ci ne correspondant pas aux luminaires contrôlés par la ville. On suppose qu’elles correspondent à l’éclairage utilisé par le secteur industriel, privé ou commercial.

Comparaison de deux photos obtenues par des astronautes à bord de la Station spatiale internationale en 2013, puis en 2021.

Comparaison de deux photos obtenues par des astronautes
à bord de la Station spatiale internationale en 2013, puis en 2021.
Crédit : NASA.

Ces nouveaux luminaires ne semblent pas avoir été installés avec un grand souci de préservation du ciel nocturne. Ces nouvelles sources lumineuses pourraient contribuer jusqu’à quatre fois plus de pollution lumineuse!… et plus si la quantité totale de luminaires a aussi augmenté!

Les environs des quartiers montréalais Saint-Sulpice (en haut) et André-Grasset (en bas) photographiés depuis la Station spatiale internationale en février 2021.

Les environs des quartiers montréalais Saint-Sulpice (en haut) et André-Grasset (en bas) photographiés depuis la Station spatiale internationale en février 2021.
Crédit : NASA.

Ces photos montrent l’impact des nouveaux luminaires DEL de la ville de façon qualitative et directe : on voit ici un quartier résidentiel de Montréal avec les nouvelles DEL qui éclairent le ciel d’une lumière légèrement plus bleutée et plus faiblement  que les anciennes ampoules au sodium.

Quelques recommandations à suivre

Cette analyse a permis de dégager trois recommandations à suivre pour restreindre la pollution lumineuse lors d’une transition à la technologie DEL :

  1. Les DEL de couleur bleutée (de plus de « 4000 K ») doivent être évitées à tout prix. Les DEL de « 1800 K » et moins sont particulièrement bénéfiques pour réduire la pollution lumineuse.
  2. On doit tirer avantage de l’éclairage directionnel (de type full cutoff).

  3. L’intensité d’éclairage doit être réduite d’au moins 30 % par rapport à la norme d’éclairage IES RP-8-14 qui était suivie avec les anciennes technologies d’éclairage.

Il faut noter que l’ensemble des trois recommandations doivent être suivies pour ne pas aggraver la pollution lumineuse. Si on en adopte seulement une ou deux, nos données indiquent que la transition à l’éclairage DEL augmentera la pollution lumineuse.

J’ai récemment donné une conférence virtuelle à la Société d’astronomie du Planétarium de Montréal (SAPM) où je présente ces résultats de façon plus détaillée. Celle-ci est disponible sur la chaîne YouTube de la SAPM et les diapositives de cette présentation sont également disponibles. 

L’étude complète et technique Évolution de la pollution lumineuse à Montréal intéressera tous ceux qui veulent en savoir plus, ainsi qu’aux ingénieur.e.s et scientifiques qui voudraient reproduire nos résultats ou les appliquer en utilisant d’autres ensembles de données.

Nous voudrions remercier et saluer la coopération de  l’équipe scientifique NASA VIIRS Calibration Support Team qui nous a fourni des informations précieuses sur la caméra VIIRS et qui nous a permis de mener à bien ce projet.

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