Comment un ensemble de matières dans une nébuleuse s'attirant les unes les autres peuvent-elles finir en système planétaire avec une étoile à son centre? Bref, comment en est-on venu à habiter un Système solaire? Olivier Hernandez, directeur du Planétarium, décrit les étapes de la théorie expliquant la création et l’évolution des systèmes planétaires.
Ce texte est une adaptation d’une chronique diffusée à l’émission Moteur de recherche, sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première.
La question nous amène directement à nos origines, celle de l’apparition de la vie sur Terre plus particulièrement. Même si nous connaissons plusieurs milliers de planètes, les modèles de formations planétaires sont encore très empreints de celui de notre propre Système solaire. Le modèle du nôtre a été développé pendant plus de 30 ans dans les années 1970-1980. Et la plus grande difficulté est de pouvoir expliquer toutes les diversités de ce zoo planétaire.
Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'origine et l'évolution des systèmes planétaires sont encore mal connues. Ainsi, on connaît beaucoup mieux le centre du Soleil que le centre de la Terre et l'on connaît davantage l'évolution des étoiles que celle de notre Système solaire.
Existe-t-il, malgré tout, un modèle standard de système planétaire?
Modèle évolutionniste
Le modèle le plus raisonnable pour expliquer la formation des systèmes planétaires est celui de la nébuleuse protosolaire, énoncé il y a près de deux siècles par Pierre Simon de Laplace (1749-1827) et Emmanuel Kant (1724-1804). Dans ce modèle, un vaste nuage de gaz et de poussières s'effondre sur lui-même et donne naissance au Soleil et aux planètes du Système solaire. C’est ce qu’on appelle le modèle évolutionniste.
Modèle catastrophique
À l’opposé, le modèle catastrophique supposait que les planètes se forment lors d’événements violents arrachant de la matière au Soleil. Par exemple, la collision d’une comète sur le Soleil, ou entre une autre étoile et le Soleil. En 1939, ce modèle a été abandonné. L’astronome allemand Spitzer a démontré qu’il n’était pas valable, puisqu’il y aurait eu une dispersion trop rapide de la chaleur de la matière arrachée. C’est donc le modèle évolutionniste qui a pris le pas sur tout.
D’un point de vue philosophique, ce débat est très intéressant. Il présente deux points de vue qui s’affrontent aujourd’hui encore en astronomie : notre présence dans l’Univers est-elle due au hasard (scénario catastrophiste) ou est-elle « naturelle » avec les bonnes conditions évolutives (qui donnerait raison aux évolutionnistes)? On pense que c’est plutôt la deuxième solution, soit les évolutionnistes, qui ont raison.
Quelles sont les grandes étapes de ce modèle évolutionniste?
La version moderne de cette théorie débute avec un nuage moléculaire (dihydrogène ou H2) de quelques années-lumière, fait de gaz et de poussières.
Phase 1 – Instabilité et effondrement
Le nuage devient instable, soit parce que sa masse est trop grande, soit parce que l'explosion d'une étoile voisine stimule sa contraction. À l'intérieur du nuage, des « grumeaux » denses et compacts se contractent et commencent à s'effondrer. Les « grumeaux », aussi appelés proplydes, contiennent la matière première nécessaire à la naissance d'un système planétaire. Grâce au télescope Hubble, on a vu des images de proplydes, qui ressemblent en fait à des têtards!
Après le passage de l'onde de choc, la taille du nuage est réduite par un facteur dix. Le grumeau tourne lentement sur lui-même. Sa température est d'environ 5 à 10 degrés au-dessus du zéro absolu (-268 à -263 °C). La majeure partie de sa masse est sous forme de molécules et de grains de poussière.
Phase 2 – Formation du disque protoplanétaire
Sous l'effet de la gravité, les proplydes se contractent et tournent de plus en plus rapidement. C’est la formation d'une zone centrale massive, la future étoile, et d'une région externe aplatie, le disque protoplanétaire, le tout dans une enveloppe de matière.
Phase 3 – Du disque protoplanétaire aux planètes : deux scénarios
Il existe deux façons de créer des planètes à partir d'un disque protoplanétaire. Le premier mécanisme proposé est que les planètes se forment par accumulation et coagulation de corps plus petits (des poussières, des roches, de la glace, des cailloux, des planétésimaux, etc.). C'est le scénario appelé « bottom-up ».
Le deuxième mécanisme fait intervenir la force gravitationnelle et les instabilités de la matière dans le disque. Le disque se fragmente alors en structures de plus petites masses qui deviennent des planètes. C'est le scénario dit « top-down ». Quoique les deux mécanismes soient possibles, on pense que les planètes de notre Système solaire se sont formées par accrétion de petits corps.
Qu’est-ce qui permet aux poussières de s’agglomérer?
On pourrait penser que les poussières s’agglomèrent grâce à la force de la gravité, mais non! Ce sont les forces de Van der Waals, nommé d’après un Néerlandais qui a trouvé cette interaction électrique de faible intensité. D’ailleurs, les forces de Van der Waals permettent à certains reptiles, comme les geckos, de se maintenir sur des parois… il y a donc un lien entre les geckos et la formation d’une planète!
Cette force électrostatique assure la cohésion des petits grains. Jusqu’à une grosseur d’un kilomètre, c’est la force qui va dominer. La force gravitationnelle n’est pas assez forte pour que ces petits morceaux s’agglomèrent ensemble.
Les phases initiales de la formation des deux types de planètes (rocheuses ou gazeuses) sont similaires. À l'origine, ce sont de fines particules de poussières qui s'agglutinent les unes aux autres.
Ça prend beaucoup de poussière pour faire une Terre, non? C’est sale cet Univers primaire là!
C’est très sale! Il faut cent milliards de milliards de milliards de milliards (1038) de ces particules pour former une planète comme la Terre. Encore 10 000 fois plus pour Jupiter! Ces particules, riches en éléments lourds, baignent dans un milieu gazeux composé surtout d'hydrogène et d'hélium.
Phase 4 – Rotation différentielle et différenciation thermique
La nature gazeuse et poussiéreuse du disque protoplanétaire lui permet d'avoir une rotation différentielle, c'est-à-dire que les régions centrales tournent rapidement tandis que les parties externes tournent plus lentement. Cela va créer une turbulence qui ralentit la matière et la fait tomber vers la concentration centrale qui deviendra le Soleil. Plus la quantité de matière augmente au centre, plus celui-ci se réchauffe.
Est-ce que le disque protoplanétaire se réchauffe aussi?
Oui, au fur et à mesure que la matière tombe vers le centre. Les régions du disque près du futur Soleil, où se formera Mercure, atteignent 1 300 à 1 800 °C, tandis que la température des parties externes est de -175 °C. Ce gradient de température crée une différence de composition chimique entre les grains qui s'amalgament au centre et ceux de la périphérie.
Phase 5 – La formation des planétésimaux et le nettoyage
Au bout d’un million d’années, une fraction substantielle des éléments lourds de la nébuleuse est amalgamée dans des rochers dont la taille est de l'ordre de celle des astéroïdes, soit environ 100 km. Ces& planétésimaux forment les blocs de construction élémentaires menant à la formation de planètes.
Au début, lorsque les planétésimaux sont encore de petites tailles, leur structure est plutôt poreuse comme celle des grains de poussière. L'évolution des planétésimaux est dictée par la force gravitationnelle. Les collisions sont fréquentes, certains planétésimaux sont disloqués, d'autres grossissent. Leur taux de croissance augmente alors encore plus.
Les planétésimaux les plus massifs sont ceux qui ont le plus de chance de grossir puisque leur force gravitationnelle permet d'attirer les plus petits dans leur voisinage. Au fil du temps, ils fusionnent la plupart des petits planétésimaux et donnent naissance aux planètes terrestres telles que nous les connaissons aujourd'hui.
Et les planètes gazeuses, comment se forment-elles?
Le cas des planètes joviennes, qui contiennent beaucoup de gaz, est plus compliqué et nécessite une étape supplémentaire. Pour accumuler et retenir une quantité importante de gaz de la nébuleuse protoplanétaire, il faut que la masse de la planète ancestrale atteigne environ 10 fois celle de la Terre.
À partir de cette masse, la force gravitationnelle est suffisante pour « aspirer » directement les gaz de la nébuleuse à la condition qu'il y en ait une quantité importante. Si c'est le cas, le processus d'aspiration s'accélère, car la masse du gaz accrété s'ajoute à celle de la planète ancestrale. Le processus s'arrête lorsque tout le gaz au voisinage a été accrété ou au moment où l'étoile centrale balaie les restes du disque protoplanétaire. La planète gazeuse atteint alors sa masse finale.
Les gazeuses vont donc amplifier l’effet d’aspiration et de nettoyage! D’ailleurs, Jupiter a joué un rôle fondamental dans la formation des quatre rocheuses (Mercure, Vénus, Terre et Mars).
Jupiter, cette balayeuse de notre système solaire!
Jupiter a permis de stabiliser et nettoyer le disque, lorsque celle-ci était plus proche du Soleil. C’est ensuite l’apparition et l’effet de gravitation de Saturne qui ont ramené Jupiter vers l’extérieur de notre Système solaire. C’est ce qu’on appelle le modèle du TAC ou virement de bord comme pour les bateaux à voile.
Pour conclure, ça prend combien de temps pour former une planète?
Les planètes rocheuses se forment en environ 100 à 150 millions d’années. C’est très court, et ce temps est obtenu par datation des météorites les plus primitives (chondrites).
On l’estime aujourd’hui l’âge de notre Système solaire à 4 568 milliards d’années. La datation du zircon dans les plus vieilles roches terrestres montre que l’âge de notre planète est de 4 404 milliards d’années. La différence entre les deux dates est le temps approximatif qu’il a fallu pour former les rocheuses.
Les gazeuses, si elles se sont effectivement formées par instabilité du disque protoplanétaire, n’auront mis quant à elles qu’un peu plus de 10 millions d’années à se constituer. C’était finalement « une brève histoire du temps » de notre Système solaire!