Récolter et transplanter des milliers de plantes dont on connaît peu les exigences horticoles, produire un potager à partir de semences anciennes, minimiser l'impact des travaux d'excavation sur les végétaux existants, créer une tourbière, assurer la viabilités des espèces transplantées. Ce fut un défi considérable d'implanter au Jardin botanique, le Jardin des Premières-Nations!
Écologistes avant que le terme n'existe, les Autochtones ont développé une connaissance intime de la nature, sachant trouver une plante particulière destinée à une fonction spécifique exactement là où elle se trouve dans son habitat naturel.
Pour faire honneur à cette relation entre les Premières Nations et le monde végétal dans un jardin botanique, il faut représenter l'univers complexe des végétaux, tel qu'il existe dans la nature. Oublions le type de jardin où les plantes seraient rassemblées selon leur fonction ou leurs qualités esthétiques.
Pour le Jardin des Premières-Nations, il a fallu se laisser guider par Dame Nature et respecter les assemblages et les affinités d'origine. Ce n'était pas un jardin de plantes alimentaires, ou un jardin de plantes médicinales, qu'il fallait aménager, mais plutôt une forêt laurentienne, une forêt coniférienne, une toundra ou une tourbière!
Planter des arbres
Le site prévu du Jardin des Premières-Nations avait déjà un massif boisé très diversifié provenant de plantations réalisées à partir des années 1960. Cette plantation, maintenant arrivée à maturité, pouvait merveilleusement servir d'assise au nouveau jardin. Il fallait tout de même compléter par certaines espèces forestières qui n'y étaient pas, densifier le peuplement, remplacer des arbres morts, planter des jeunes arbres en sous-bois, etc. Entre autres, 79 sapins (Abies balsamea), 42 bouleaux blancs (Betula papyrifera) et 45 pruches (Tsuga canadensis), ainsi qu'une douzaine de noyers cendrés (Juglans cinerea) et noyers noirs (Juglans nigra) ont été plantés.
Cueillir sans détruire
Bien que le bâtiment principal fut construit sur un chemin déjà existant, les véhicules lourds tels que bétonneuse, pelle mécanique, affairées à son aménagement, devaient circuler dans un espace définis très restreint. De nombreuses branches ont dû être remontées et attachées afin de ne pas abîmer les arbres. En outre, un écosystème forestier est bien davantage qu'une plantation d'arbres : il comprend un sol particulier et une flore de sous-bois.
De nombreuses espèces herbacées et arbustives importantes dans la tradition autochtone, comme la clintonie boréale (Clintonia borealis), la sanguinaire (Sanguinaria canadensis) ou le groseillier (Ribes hirtellum), colonisent le sol forestier. Sauf exceptions, ces plantes sont introuvables chez les producteurs. Et il aurait été très long de les produire au Jardin botanique. La solution : la récolte en milieu naturel de la majorité des milliers d'individus nécessaires, puis leur transplantation au Jardin des Premières-Nations.
Il ne fallait évidemment pas saccager la nature! L'éthique établie par l'équipe de botanistes pour la cueillette des espèces était très stricte. Les plantes devaient être récupérées sur des sites ultérieurement détruits, comme des sites de futurs développements immobiliers ou de prolongement de routes. Même pour les plantes les plus communes, les récoltes ne devaient être réalisées que dans des endroits condamnés à une destruction imminente.
Les plantes herbacées et arbustives du Jardin des Premières-Nations sont donc, pour l'essentiel, des rescapées en provenance de Laval, Saint-Jérôme, Saint-Hilaire, etc. Les semences des plantes horticoles tels que le maïs, le haricot et la courge proviennent de différentes communautés autochtones qui les cultivent depuis plusieurs générations.
Une tourbière reconstituée
Plusieurs plantes utilisées depuis toujours par les Autochtones poussent uniquement dans les tourbières : des milieux humides, acides et pauvres, souvent constitués d'un lit flottant de sphaigne. Comment reconstituer un écosystème aussi complexe au Jardin botanique?
Les botanistes et les horticulteurs du Jardin des Premières-Nations ont mis à profit les nouvelles techniques de re-naturalisation mises au point par l'industrie de la tourbe. Un étang artificiel a été aménagé avec un fond imperméable de membrane géotextile et les trois quarts du volume ont été comblés avec un substrat composé de cinq parties de tourbe pour une partie de sable grossier.
L'étang a été rempli avec de l'eau. Ensuite, la sphaigne (Spagnum sp.) récoltée dans une tourbière de la région de Rivière-du-Loup a été dispersée sur ce milieu.
L'équipe d'horticulture a également planté des végétaux – kalmia (Kalmia polifolia et K. augustifolia), canneberge (Vaccinium macrocarpon et V. oxycoccos), sarracénie pourpre (Sarracenia purpurea),etc. – récoltés au même endroit. L'objectif était de former, après quelques années, un tapis continu de sphaigne décoré d'une flore typique de tourbière.
Des écosystèmes en évolution
Le Jardin des Premières-Nations est composé de plus de 300 espèces végétales différentes. Mais comment garantir un taux maximum de survie des espèces? Comment s'assurer que des plantes n'envahissent pas leurs voisines? Comment assurer la survie de certaines plantes qui vivent sous des latitudes beaucoup plus nordiques?
Le maintien et l'amélioration des écosystèmes reconstitués représenteront un défi de taille pour les horticulteurs. La réalisation du Jardin des Premières-Nations a comporté et comporte toujours de nombreux défis horticoles. Le Jardin des Premières-Nations est un laboratoire pour de nombreuses expérimentations qui demandent ajustements et patience. L'équipe d'horticulture doit apprendre et ajuster ses pratiques au fil des expériences. Seule certitude : ce jardin gagnera en beauté avec l'âge!