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Testimonial
Un jour, un rat m’a dit
C’était à Paris, il y a longtemps. Alors que je traversais le passage Raguinot, je me suis subitement trouvée face à face avec un rat surgi d’une bouche d’égout. Je me suis arrêtée. Lui aussi, effrayé. Je lui ai parlé doucement, sans l’approcher, pour le rassurer. Mais il s’est enfui. C’était trop tard. Il connaissait la peur de l’Homme.
L’Homme qui domine, tue et détruit sans discernement, sans même savoir qu’il a besoin de tout ce qu’il anéantit. J’ai compris à quel point tout ce qui vit veut vivre. Comme nous. Même un rat. N’a-t-il pas un rôle, une utilité? Lorsqu’il pullule, ne serait-ce pas la faute de l’Homme, qui aurait détruit un certain équilibre? Que faisions-nous à la Terre? Comment en étions-nous arrivés là?
Cette peur, je ne voulais plus la voir. Partout où je m’installerai, j’offrirai un refuge où l’existence pourrait trouver une sécurité relative, celle prévue par la nature. Il suffit de l’observer pour voir que, dès qu’on lui offre un espace où il peut s’épanouir, le vivant l’occupe.
J’ai ainsi entretenu mon jardin dans le respect de la biodiversité. Depuis des siècles, l’Homme transforme la végétation qui l’entoure en fonction de ses besoins. Pour pallier cette folie, j’ai planté des arbres, des arbustes et des plantes, indigènes pour la plupart, qui offrent refuge et nourriture à tout ce qui bouge. Je prévois quand même quelques hibiscus et cannas pour ne pas que les colibris aient le mal du pays lorsqu’ils passent l’été chez nous, même s’ils apprécient les crocosmias. Je n’ai jamais utilisé de produits chimiques, pourtant mon jardin produit en abondance. Il m’alimente pratiquement toute l’année, soigne mes petits maux, ses fleurs décorent mes plats l’été et je m’y détends. Pour me débarrasser des mauvaises herbes envahissantes, ou « comestibles nuisibles », je les mange.
Mon jardin, plein de vie, n’est jamais silencieux. On y entend les insectes bourdonner, les oiseaux chanter et pépier, le vent dans les arbres et les graminées. Ces bruits de la nature sont apaisants. Le vacarme humain y est limité : pas de tondeuse en mai et, le reste du temps, quelques minutes à la fois, peu souvent vu que je n’ai pratiquement pas de gazon. Pas d’éclairage la nuit non plus.
L’été, quand il fait très chaud et sec, je soulage la vie qui s’étiole en arrosant, pour qu’elle tienne jusqu’à la fraîcheur relative du soir. Les plantes en profitent. Les insectes et les oiseaux arrivent aussitôt, pour se rafraîchir eux aussi. C’est une joie que de les voir traverser, en marchant ou en volant, l’eau qui oscille. Nous ne pouvons plus compter que sur la nature. Nous l’avons blessée. Il faut maintenant l’aider.
Alors, évidemment, ça pousse et ça grouille de partout. Parfois, je fais semblant de me fâcher et je parle à tout ce petit monde. « Arrêtez de m’envahir! Moi aussi, j’ai le droit de vivre. » « Je veux bien que vous vous serviez dans mes tomates et mes framboises, mais il faut m’en laisser. Est-ce que je mange vos vers de terre? » J’ai menti au petit lièvre lorsque je l’ai menacé, en vain, de le faire en civet, car il aime les jeunes pousses et rien ne l’arrête. En fait, si tout ce vivant exulte, c’est qu’il est bien chez moi et cela me procure un indicible bonheur. Je me sens comme une bonne mère qui prend bien soin de ses protégés, même de ceux que j’aime un peu moins, car tous tiennent à la vie et ont leur utilité. Lorsqu’au printemps et à l’automne, je divise mes vivaces et partage mes bulbes pour faire de la place, je veille à leur trouver de bons jardins d’adoption.
Je rêve que nous soyons de plus en plus nombreux à faire de nos terrains des refuges où tout ce qui fait partie de la biodiversité soit en sécurité et s’épanouisse, que le nombre de parcelles-refuges augmente de façon exponentielle, pour qu’il finisse par y en avoir des millions qui se juxtaposent partout dans le monde. Je rêve de voir un jour tout ce qui vit cohabiter en bonne harmonie, comme aux Galápagos, où les animaux n’ont pratiquement pas peur de l’Homme. Bien des espèces terrestres endémiques y ont évolué sans prédateurs naturels pendant des millions d'années; les oiseaux se laissent approcher, les otaries jouent dans l’eau avec ceux qui se baignent, les iguanes marins crachent le sel à nos côtés et les iguanes terrestres, sans se soucier de qui que ce soit, attendent patiemment au pied des opuntias qu’un fruit ou une fleur tombe pour se restaurer. C’était avant l’arrivée des touristes. Maintenant, je ne sais pas. Le mal que l’Homme fait, il faut essayer de le réparer. Nous le devons à la biodiversité.